dimanche 12 octobre 2014

Bribes de culture malgache (2) : l'argent


Trois scènes du quotidien.
Insignifiantes au premier abord, même pour moi.
Mises bout à bout, elles me semblent pourtant donner un aperçu assez juste des questions qui minent l'économie malgache.

......................................................................................................................

C'était dans le Ministère de l'Aménagement du Territoire et de la Décentralisation, au Service des Domaines et de la Topographie, sur les bords du Lac Anosy, il y a quelques semaines. Je venais demander un extrait cadastral pour une parcelle que la Communauté souhaite acquérir prochainement. Munie du numéro du titre foncier et du nom de la propriété, je redécouvrais ces lieux déja explorés l'année dernière pour les mêmes démarches que j'avais effectué pour la parcelle sur laquelle nous construisons actuellement. Les lieux m'étaient donc familiers : une effervescence digne des marchés, des agents administratifs assis derrière de grands registres manuscrits, le bruit régulier des tampons rouges qui viennent certifier des documents officiels.
Je demande au gardien de l'accueil de m'indiquer la direction pour le guichet qui délivre les plans cadastraux (les indications au dessus des bureaux ne correspondent pas toujours à l'activité de celui qui se trouve en dessous !). Une dernière question me traverse l'esprit :
"-Manditra firy andro anovana ireto taratasy ireto ? (Et, quel est le délai pour l'obtention de ces documents ?)
- Herinandro telo. (Trois semaines)
-Ela be izany ! (C'est long !)" ... (Mes vieux réflexes de parisienne pressée ressurgissent toujours quand il ne faut pas !)
Il m'adresse alors au guichet mitoyen de celui qu'il m'avait alors présenté, sans que je ne m'en rende vraiment compte.
Je m'adresse à l'agent, lui présente ma demande, et lui confie les informations dont il a besoin. Il me propose de revenir deux jours plus tard pour venir retirer mes plans. Puis vient ensuite le moment fatidique :
-"Ohatrinona ilay izy ? (C'est combien ?)
- Tela alina Ariary isak'i taratasy (30 000 Ariary chaque plan)"

Mon voisin, qui a suivi notre conversation, me glisse alors :
-"Il faut lui donner discrètement".
- Ah !"
Ayant enfin compris la situation dans laquelle je m'étais fourrée, je regarde l'agent fièrement en lui lançant :
-"Et vous donnez un reçu ?
-Non.
-Ah bon, parce que moi j'ai besoin d'un reçu pour ma comptabilité.
-Alors il faut aller au guichet d'à côté. 
-Très bien."

Au guichet d'à côté, c'était 15 000 Ar pour les trois plans, avec un joli reçu tamponné à l'encre rouge.

 ......................................................................................................................

C'était dans mon bureau/dortoir (bureau pour moi le jour, dortoir pour les ouvriers la nuit !). Nous venions de terminer les contre-mesures des tableaux des baies avec Monsieur Olivier, le technicien de l'entreprise de menuiseries aluminium avec laquelle nous travaillons. Les maçons avaient travaillés toute la semaine précédente pour terminer les crépis et les appuis des baies. J'avais donc fait venir le menuisier pour prendre les mesures exactes des portes et des fenêtres commandées afin qu'il puisse lancer la fabrication.
Ayant rajouté quelques éléments à l'ancien devis, il fallait en signer un nouveau et reverser un acompte. Le contrat stipulait 75% à la signature, 15 % avant la fabrication et 10% à la pose. Le compte du chantier commençait à être dans le rouge après les grosses dépenses de la charpente et je ne pouvais pas lui donner les 75% désirés le jour même.
Assez compréhensif, il accepte facilement le montant que je lui propose en lui garantissant que je verserais le reste au moment de la pose, quinze jours plus tard.

Le lendemain, je reçois un appel un peu paniqué :
-"Oui, bonjour Mademoiselle Delphine. Il y a un souci avec le chèque d'hier. Est-ce que vous pouvez passer voir la directrice administrative aujourd'hui ?
-Oui, pas de soucis."

Mme Vohierana, la directrice administratif et commerciale me reçois, comme toujours, très amicalement dans leur locaux. 
"-En fait, il n'y a pas de soucis avec votre chèque, mais le patron est karane (indos-pakistanais vivants à Madagascar) et il n'a pas confiance en les malgaches. Il s'étonnait du montant de votre chèque et a cru que vous aviez corrompu Mr Olivier en lui donnant une partie de l’acompte en liquide et le reste en chèque. Mais moi je sais bien que Monsieur Olivier est honnête mais vous savez, les karanes sont très méfiants."

Oui, je vois !
On pourrait juste voir dans cette situation un manque de confiance entre un patron et son salarié. Mais au delà de ce premier clivage, l'exemple est révélateur du fonctionnement de l'économie dans la capital :  des entreprises tenues par des karanes qui, depuis leurs larges fauteuils en cuir, surveillent les 10 écrans plats qui leur permettent de suivre tous les mouvements dans leurs locaux. Et des malgaches, fouillés à la sortie de chaque entrepôts, suspectés de vols en régulièrement.

Oui, les vols sont courants. Fréquents. Permanents ?
Mais comment réagir de manière juste quand il s'agit pour la plupart de leur seul moyen de subsistance ?
 ......................................................................................................................

Cette fois-ci, j'étais dans une petite quincaillerie, toujours tenue par un karane, toujours assis dans son grand fauteuil en cuir.
Je venais acheter de la peinture. En grosse quantité.
Accueillie par un vendeur malgache, je lui présente la liste de ce dont j'ai besoin et commence les négociations avec les arguments habituels : "je viens souvent", "je prends de grosses quantités", "nous construisons même une deuxième maison ensuite"...
Il me donne les remises escomptées, et même plus !
En sortant du magasin pour rejoindre le dépôt, il tient absolument à m'accompagner.
Ce n'est qu'arrivés à la voiture qu'il me dévoile enfin son jeu :
-"Je vous ai fait de grosses réductions, est-ce que vous pouvez me donner un petit cadeau ?" (comprendre de l'argent)"

Donner un pourboirs aux manutentionnaires parce qu'ils portent toutes la journée des charges considérables, oui.
Mais acheter un vendeur pour qu'il nous octroie des réductions plus importantes, c'est mettre un premier doigt dans la corruption.

 ......................................................................................................................

La rencontre de ce vieillard à Ambohitsoabe ce week-end vient conclure ces trois anecdotes. Il prenait soin des fleurs qu'il avait planté dans son jardin et je l'en félicitais pour leur beauté.
"-Raha manana vola aho, mividy vaovao. Refeha tsy manana, mikarakara ireto aho." (Si j'ai de l'argent, j'en achète de nouvelles. Et quand je n'en ai pas, je m'occupe de celles que j'ai déja planté)







dimanche 28 septembre 2014

Bribes de culture malgache : le mariage

Ces derniers temps, j'ai eu l'occasion à plusieurs reprises d'être confrontée de manière assez vive à certains aspects de la culture malgache que je n'avais pas encore saisis jusque là ou que j'avais simplement deviné mais pas encore vécu. Étonnements et questionnements ainsi que joies et déceptions étaient au rendez-vous ! En voici quelques extraits.

Le premier évènement fut le mariage de Tsiry.
J'ai connu Tsiry quand nous travaillions ensemble pour l’hôpital de Mahajanga, à mon arrivée à Madagascar. Tsiry était en apprentissage sur le chantier et continuait d'étudier à l'école de temps en temps. C'était lui le plus instruit de l'équipe et le seul qui parlait français. Il me fut d'une grande aide avant que ma maîtrise de la langue ne s'améliore.
Au mois d'août, je reçu un texto de sa part m'invitant à son mariage. Bien que nous ayons gardé contact, je ne connaissais pas la nouvelle et me suis réjouie de cette fête à venir. L'année dernière, j'avais déja été accueillie chaleureusement dans son village par sa famille lors d'un famahadiana (fête du retournement des morts). Le lieu m'était donc familier et j'étais pleine d'enthousiasme de découvrir la manière de célébrer un mariage à Madagascar.
Je suis arrivée chez eux tôt le matin, en espérant pouvoir échanger avec lui sur leur manière de vivre cet évènement.
En voyant son costume, les enfants d'honneur, les décorations selon un thème (la couleur jaune), je me suis étonnée des ressemblances avec notre manière européenne de fêter un mariage. 

"-Vous n'avez pas de vêtements traditionnels pour le mariage ?
 -Si mais vous c'est comme ça que vous faites, avec un costard et des décorations de la même couleur, non ?
 -Oui, c'est vrai. Donc c'est un mariage à la façon française que vous allez faire ?
 -Oui, c'est ça."

Bon, au moins, c'est clair. Ne pas chercher d'éléments de la culture malgache mais plutôt des pastiches de ce que l'on peut faire chez nous. Et c'est gagné ! J'ai trouvé toute la panoplie : du costume-papillon flambant neuf en passant par la parade en voiture de location dans le village et en oubliant pas les fleurs jaune en plastique, tout y était ! Un mariage à la française agrémenté du kitsh malgache ! Moi qui m'attendais à de l'authenticité et à de la véracité, j'étais servie !
Habiter en brousse est perçu comme une honte de laquelle ils essayent d'échapper en copiant un mode de vie qui leur échappe. Tout n'était que façade, paraître et supercherie : sur les nappes initialement blanches la poussière laissait déjà apparaître le rond des verres; derrière des canapés énormes se cachait le trou dans la cabane qui faisait office de wc tous les jours; malgré un menu imprimé individuellement et rédigé à la manière des restaurants français, les invités mangeaient la viande à la main et déposaient les os directement sur la table.

De mes questionnements naïfs est née une grande déception. Celle de les voir renier leur traditions, et par là leur pays, pour emprunter celles d'autres qu'ils ne connaissent pas et qui n'ont aucun sens pour eux. Sinon celui de s'enorgueillir auprès des membres de la famille de tous les moyens déployés pour la fête et d'assoir ainsi leur position sociale dans le village.
Le titre du dernier liver de Sylvain Urfer, "Madagascar, une culture en péril ?" a tout d'un coup pris une signification beaucoup plus concrète...




 
...................................................................................................................................................

Le deuxième évènement fut le vodiondry de Patrick.
Patrick est un des ouvriers avec qui je travaille quotidiennement  sur le chantier du foyer d'étudiants à Tananarive.  Un peu timide mais surtout très excité, il m'a invité samedi dernier, à son vodiondry, mariage traditionnel qui correspond à une étape indispensable avant le mariage religieux et le mariage civil.
Vodiondry signifie littéralement "le postérieur de l'agneau". C'est le cadeau qui est offert à la  famille de la femme en signe de respect. Aujourd'hui, il est remplacé par des enveloppes mais le nom et le sens restent les mêmes.
Ravie d’honorer son invitation, j'espérais bien que cette deuxième chance soit plus concluante que la première ! Et je n'en fut pas déçue !

Le vodiondry est en fait un échange de discours (kabary) entre la famille de l'homme et la famille de la femme afin de conclure l'alliance. Chaque famille est représentée par un porte-parole (le mpikabary) qui est le seul à s'exprimer. Son rôle est d'argumenter en faveur de sa famille, en réponse au discours adverse. 
La famille de la femme cherche à s'assurer des qualités du prétendant et de sa capacité à assumer les responsabilités du nouveau foyer et les besoins de sa future femme.
La famille de l'homme doit répondre à toutes ces interrogations en vantant les mérites de l'homme.
Il s'agit de longs échanges très codifiés faisant appel à de nombreux proverbes malgaches. Autant vous dire que je n'ai saisi que la forme et que j'ai du me faire expliquer le fond.
Après toutes ces étapes franchies, et l'approbation de la famille de la femme accordée, celle-ci est (enfin !) invitée à entrer et à prendre sa place à côté de son mari. Une fois l'alliance conclue entre les deux familles, l'ambiance s'est détendue, et les langues se sont déliées au rythme de la musique.

Malgré les premiers échanges solennels (empruntant même les codes du théâtre) laissant imaginer le manque de spontanéité que peuvent représenter ces protocoles, j'étais enchantée de voir Patrick exprimer sa joie, simple et vraie, en tenant Tatamo par la main.

A travers la pratique de ces coutumes, j'y ai vu un très beau témoignage de respect mutuel des familles et d'encouragements pour le jeune couple.
Vive les mariés !

Jean-Baptiste, représentant de la famille de Patrick
L'oncle de Tatamo, représentant de sa famille.
Les mariés !



mercredi 20 août 2014

Pas à pas...

"Commence par faire le nécessaire, puis fais ce qu’il est possible de faire et tu réaliseras l’impossible sans t’en apercevoir" Saint François d'Assise

C'est dans cette citation trouvée dans une biographie du Pape François que j'ai trouvé un échos particulièrement fort dans ce que je vis au quotidien.

Commence par faire le nécessaire...
Quand je pars sur le chantier chaque matin, je n'ai qu'une idée très vague de que ma journée sera faite. Il m'arrive d'avoir quelques rendez-vous mais le plus souvent les nécessités ne sont pas planifiées. 
J'arrive donc, je salue chacun et prête l'oreille aux besoins qui peuvent se faire sentir. Un plan détaillé du calepinage des douches pour les maçons, une avance pour les portes intérieures pour le menuisier, de la chaux et des bidons pour le peintre, des baguettes de soudure pour le ferronnier, déterminer le positionnement des interrupteurs et des prises pour l’électricien, aller chercher de l'argent à la banque, commander du ciment... Les demandes sont nombreuses, il suffit juste d'être à l'écoute ! Les hiérarchiser en leur donnant un ordre de priorité devient alors primordial pour ne pas se laisser dépasser.

Puis fais ce qu'il est possible de faire...
Quand le nécessaire est réglé et que j'ai l'esprit un peu plus libre, je cherche à améliorer ce qu'il est encore possible de perfectionner. Aujourd'hui, j'ai pris un peu de temps pour choisir des carreaux colorés pour égayer les salles de bain. Je me suis également posée pour remettre à jour le planning qui m'aide à coordonner le travail de chacun et j'ai anticipé une commande de hourdis qui devra être livrée dans 15 jours.
Tout ça, c'était avant que le charpentier m'annonce que l'intensité du courant actuellement disponible à notre compteur ne sera pas suffisante pour les soudeurs qui viendront travailler à partir de lundi ! Et gloups, retour à la case "nécessités" et direction la Jirama (l'EDF malgache) pour trouver une solution...!
En ce moment, le chantier ressemble un peu à une garderie car les enfants sont en vacances et viennent habiter quelques temps avec leurs papas pour les sortir de leur village. Le bureau se transforme alors en salle de ciné, le temps d'un dessin animé que je leur laisse regarder sur l'ordinateur.

Et tu réaliseras l'impossible sans t'en apercevoir...
Un visiteur, hier, viens de me faire réaliser l'ampleur de la tâche qui s’accomplit sous mes yeux tous les jours : plus de 35 hommes qui travaillent tous les jours admirablement, le sourire aux lèvres, et à un rythme soutenu ! Pas de haussement de voix, pas de revendications (à part celle de varier un peu plus le menu du midi !) mais seulement des sifflotements joyeux pour suivre le rythme entonné par le radio-carte.
Mais heureusement, je m'en aperçoit ! Après avoir rapidement pris de la hauteur, étages après étages, la maison commence maintenant, et plus lentement, à se faire belle de l'intérieure.

L'impossible, c'est aussi la transformation que je vis pendant cette belle mission. Nourrie par de grandes espérances théoriques pendant mes études, je suis confrontée tous les jours à des questions techniques, pratiques, économiques, humaines, qui me permettent de toucher toujours un peu plus le réel. 

A jouer les commissionnaires, comptables ou négociateurs, j'en oublierais presque que je suis architecte. Heureusement, mes questions farfelues me rappellent encore que je n'ai pas encore tout perdu de ces rêves qui nous habitent quand on imagine un espace :

"- Heu, Jean-Baptiste, tu es sûr qu'on ne peu pas faire des briques apparentes de chaque côté du linteau ? (Aller, s'il te plaît, dit oui...)
 - Non, on peu diminuer le linteau jusqu'à 10cm d'épaisseur mais pas plus, sinon, ça va tomber !
 - D'accord chef !"


 










jeudi 12 juin 2014

"Pour toi, qui suis-Je ?"

Tu es Celui qui fait de chacun d'entre nous des frères.
Tu harmonises ce qui semble discordant, Tu rassembles ce qui est éloigné, Tu cherches l'unité là où l'homme ne voit que la disparité.
Tous les jours je m'étonne de la mission qui m'a été confiée : une jeune femme architecte française sortant de l'école au milieu de maçons malgaches qui manient la truelle et l'angady comme des experts, pour construire un foyer d'étudiants. Parfois l'étrangeté de la situation me donne le vertige. Mais le plus souvent elle m'amuse car tous les ponts que je créé deviennent des victoires et toutes les blagues échangées des instants magiques.

Tu es Celui qui vit en chacun de nous.
Tu t'es fait proche de nous au point de prendre notre nature humaine pour que nous soyons touchés par Ton amour et qu'à notre tour nous puissions Te rejoindre.
Comment expliquer cet élan qui me pousse à aimer ceux qui me veulent du mal, m’oppressent ou m'assaillent de reproches? Dans la logique des hommes, c'est impossible. Pourtant, au fond de moi, j'y aspire profondément. Il faut croire que, dans mon cœur, la raison n'a pas réponse à tout.


Tu es Celui qui nous accepte tel que nous sommes.
Tu sais que nous faisons des erreurs, que nous nous égarons, que nous nous trompons. Et que nous en souffrons. Mais Tu sais aussi toute la bonté dont nous sommes capables et tout ce que nous aimerions donner. Et c'est cela qui T'importe.
Je suis idéaliste. Alors je suis souvent déçue. Par moi et par les autres. J'ai appris ici à reconnaître les qualités avant de dénoncer les défauts, à me réjouir du travail accompli ensemble plutôt qu'à l'exactitude de la réalisation.

Tu es Celui qui réveille notre liberté et nous met en marche.
Tu sais que nous pouvons donner toujours plus et tu nous encourages à ne pas laisser notre âme sombrer dans les habitudes. Tu nous reconnectes avec notre potentiel de liberté. Tu veux que l'on choisisse et non pas que l'on subisse.
Il y a des jours où j'ai l'impression d'être un pantin qui répète inlassablement les mêmes gestes, les mêmes clics de souris, les mêmes déplacements. Ces jours là, je me pose la question : "Le veux-tu ?". Chaque jour nouveau est à inventer.

Tu es Celui qui donne du sens.
Quand tous nos repères tombent et toutes nos certitudes s'ébranlent, Tu es là pour nous rappeler le projet d'amour que Tu as pour chacun d'entre nous.
Pourquoi, Pourquoi, Pourquoi ? Pendant les premiers mois, je ne cessais de me poser cette question. Tout était incompréhensible. Je me sentais totalement incompétente et inadaptée à la situation. Alors, j'ai compris que la mission était ailleurs et que je devais commencer par apprendre à aimer. Avant toute chose.

Tu es Celui qui apaise nos craintes.
Tu nous appelle à la confiance, Tu nous donne ta paix pour que nous en soyons des témoins vivants. Dans le silence de la prière Tu nous dit que la paix intérieure nous aide à agir contre le désordre extérieur.
Je n'ai pas été épargné par les combats au cours de ces derniers mois. Comment, alors, trouver la sérénité quand la tempête fait rage autour de nous ? Comment annoncer la paix quand on se sent soit-même assaillit ?
La prière est pour moi le refuge dans lequel je puise calme, sérénité et force pour continuer à avancer.

Tu es Celui qui nous invite à croire à l'éternité.
Tu nous dit par là que l'infini n'est pas si loin, que l'immensité est à la portée de tous, que nos limites ne sont que celles de notre cœur.
C'est un sentiment que j'éprouve dès que je suis en brousse. Le temps se suspend, l'espace se dilate. Je marche sans savoir où je va, en me laissant guider, en goutant cette "nature à l'état pur" qui s'offre à nous, en se saluant mutuellement. Rien ne semble pouvoir nous arrêter...

Tu es Celui qui est imprévisible.
Tu nous demande de prendre patience, de persévérer dans la tourmente, d'accueillir l’inattendu dans la joie. Tu nous dit que Ta parole éclairera sans cesse notre chemin, même si on ne sait pas où il nous mène.
Comment aurais-je pu deviner par quels rebondissements cette mission allait être jalonnée ? Tous les plans que j'avais faits ont été déjoués, toutes mes prévisions ont été balayées. Mais toutes mes attentes ont finalement été comblées, et ce n'est pas fini ! Pour mon plus grand bonheur...

...


..................................................................................................................................................................

C'est une phrase de l'Evangile de Marc au Chapitre 8, Verset 27 que Jésus adresse à ses disciples, ceux qui l'entourent. Mais au delà de ses fidèles amis présents à ce moment là, ce sont tous les chrétiens qu'Il veut interpeller.

Ce n'est pas un texte que l'on a lu récemment dans l’Église mais pourtant cette question me poursuivait depuis quelques semaines... Fruit de mes prières, de ma fréquentation de personnes religieuses ou de mes questionnements sur le rôle et la visibilité des chrétiens dans la société malgache ? Je ne sais pas... Mais toujours est-il qu'en tant que croyante, répondre à cette question m'a semblé inévitable. J'ai choisi de vous la partager.

Il ne s'agit pas d'une réponse exhaustive (en existe-t-il vraiment ?) mais simplement de ce que je pense vrai et surtout, de ce que je vis.

mardi 13 mai 2014

De l'autre côté...

Il m'aura fallu 6 mois pour passer de l'autre côté. 
Du bureau au chantier.
De l'abstraction au réel.
De l'ordinateur au décamètre.
Du dessin sur autocad au dessin dans la terre avec un caillou.
6 mois pour réfléchir, concevoir, planifier, anticiper. Avant de se lancer !

Ca y est, le chantier du bâtiment a enfin débuté. Et a même commencé à s'élever après s'être enraciné dans les profondeurs. Libérée de l'étude des bâtiments, je peux enfin me consacrer pleinement à suivre l'avancement du travail.

Du "clic-clic" de la souris au "splotch-splotch" de la truelle dans le mortier, le pas est finalement vite franchi ! Rien de mieux pour suivre le travail de nos 25 manœuvres et maçons que d'intégrer l'équipe à pieds d’œuvre. Leurs regards étaient étonnés et dubitatifs mais leur accueil bien chaleureux.
-"Mahazo maçon vaovao !" (Nous avons un nouveau maçon) a crié Jean-Ba !

-"Fa mademoiselle, misy maçons vehivavy any andafy ve ?" (Il y a des femmes maçons en France ?)
-"An an, tsy misy." (Non, il n'y en a pas)

Sourires... Une place unique à créer et à prendre.

Alors pourquoi ? La réponse n'aura finalement pas tardé.

De celle qui disait si c'est bien fait, je suis devenue celle qui apprend à faire.
De celle à qui ont disait bonjour timidement, je suis devenue celle à qui on sourit allègrement.
De celle devant qui on s'excusait toujours en passant, je suis devenue celle avec qui on plaisante joyeusement.
De celle que l'on regardait passer, je suis devenue celle que l'on questionne.

Rythme nouveau, contact avec le réel, contraintes des matériaux, les découvertes sont nombreuses ! Mes mains s'en souviennent encore mais mon cœur en est déjà grandi !

O joie de se sentir revivre !




mercredi 23 avril 2014

Au pas, Madagascar où l’éloge de la lenteur.



Depuis maintenant quelques semaines, je découvre Tana en conduisant. Après avoir exercé mes chevilles sur les pavés défaits, la tête baissée, je  les expérimente maintenant au volant. Le résultat est plutôt amusant : avec une roue à plat par semaine nous connaissons maintenant le réparateur par son prénom ! Malgré la lenteur de la circulation, difficile de slalomer entre tous les trous ou d’éviter les pierres qui jalonnent les rues pavées sans esquinter notre fier destrier. 

La circulation, parlons-en justement ! Tout s’y mélange et tous s’y emmêlent ! Les charrettes, les bus, les scooters, les voitures, les camions de 5 tonnes, les vélos, les piétons. Et encore, nous n’avons ni les pousse-pousse d’Antsirabe ni les touk-touk de Mahajanga ! Mais nous avons les 12 collines de Tana !
Comment peut-on s’accommoder de tous ces véhicules quand les trottoirs sont inexistants où accaparés par les vendeurs qui y installent leurs étals, quand les rues sont si étroites que deux voitures n’arrivent pas à s’y croiser, quand il s’agit de se frayer un passage au milieu d’une marée humaine ? Et pourtant, jamais une situation n’a été inextricable ! A grand renfort de démarrages en côtes, de coups de klaxon pour remercier et de sourires amusés, tout n’est qu’une histoire de temps. En effet, il ne faut pas être pressé. L’urgence n’existe pas. La hâte n’est pas comprise. Et au contraire, les salutations et les gestes de bienveillance qui accompagnent ces rencontres fortuites sont perçus comme autant de signes encourageants !

Cette lenteur de mes déplacements me donne à voir différemment le monde qui m’entoure. A pieds, je me sens vite assaillie. Bousculades, vols, mauvaises odeurs, tout est agressif. En voiture, je suis protégée, un peu comme dans une bulle, et j’avance tout doucement, au rythme des embouteillages. Et j’ai le temps de regarder, d’observer, de contempler. 

Les couleurs magnifiques de toutes ces fleurs arrosées par ces si longues pluies, ces couchers de soleil splendides sur le palais de la Reine, cette vie fourmillante devant les épiceries ouvertes sur la rue, ces étendues de rizières jaunies par le soleil. Mais aussi la misère de ces familles fouillant dans les bennes à ordure, ces femmes assises à même le sol en allaitant leurs enfants, ces bambins qui mendient dès qu’ils sont en âge de parler, ces hommes saouls de toaka gasy. Comment ne pas être scandalisé ? Mais sur quoi cette indignation doit-elle déboucher ? Quel est le geste juste ? Dur combat qui me pousse dans mes retranchements.

La lenteur fait partie de leur quotidien, de leurs habitudes. On ne s’étonne donc qu’à peine que le Premier ministre ne soit nommé que maintenant, quatre mois après l’investiture du nouveau président. 

Mais derrière ce rythme qui nous déconcerte parfois, il y a un vrai apprentissage. Celui de porter attention à ce qui nous entoure, celui d’accueillir chaque instant comme un don reçu et non pas comme une chose contrôlée, celui de s’émerveiller de la vie qui jaillit en abondance, sous nos yeux.

Récolte du riz à Antsirabe

samedi 8 mars 2014

Un week-end comme les autres (ou presque !)

Ca s'est passé le week-end dernier...

J'avais réservé une place dans un taxi-brousse à destination de Maevatanana. Le départ était prévu à 7h (et j'étais donc levée depuis 5h30 !) mais, comme d'habitude, le chauffeur n'a pas réussi à remplir sa voiture avant 8h30. C'était l'heure parfaite pour s'engouffrer dans les embouteillages interminables de la sortie de Tana. Non pas que je soit pressée, ce terme n'ayant pas tellement de sens ici, mais plutôt que je trépignais d'impatience d'atteindre ma destination finale.
Enfin, j'étais toute heureuse des évènements qui s’annonçaient pendant le week-end et des retrouvailles avec le Père Jeannot. Toujours dans le cadre de ma mission scoute, j'avais proposé à l'équipe des Guides de Maevatanana et au Père Jeannot (le partenaire du projet) de tous se rencontrer, pendant ces deux jours, pour commencer à préparer les activités qui vont se dérouler avec l'équipe compagnons venant de Rennes, au mois d'août. Tous avaient accueillis cette initiative avec enthousiasme, malgré les kilomètres qui nous séparent (le Père, venant de Mahajanga devant faire 6h de route et moi 7h pour rejoindre le lieu de rendez-vous).
Depuis le mois de novembre, les pluies ont été abondantes et les campagnes se sont revêtues d'un fin tapis verdoyant. Que ce soit les rizières d'un vert fluorescent ou les collines qui se succèdent, tout n'est qu'un spectacle captivant dont même la longueur du trajet n'arrive pas à me lasser.







Comme d'habitude, le voyage à comporté son lot d'inattendu ! Cette fois-ci ce fut l'explosion du pneu. Oui, explosion est bien le terme puisqu'il ne s'est pas agit seulement d'une crevaison. Sous l'effet de la chaleur trop importante du goudron (nous étions arrivé dans une région des côtes où la température est beaucoup plus importante que sur les hauts plateaux), le pneu a tout simplement éclaté. Le plus drôle dans ces situations, c'est de voir l'effarement des vazaha (en l’occurrence moi, complètement paniquée entre le moment de la détonation et l'arrêt du taxi-brousse) en comparaison au stoïcisme des malgaches.
- "Le chauffeur n'a même pas l'air étonné, dis-je à mon voisin.
- Non, mais c'est normal, il a l'habitude, ça arrive souvent quand la route est très chaude". 
Soit !
Cinq minutes plus tard nous étions repartis. Effectivement, ils a l'air rodé !


En arrivant à Maevatanana (après 3h de retard sur le rendez-vous prévu !), c'est en fanfare que j'ai été accueillie. Par le Père Jeannot qui m'a fait monté sur sa moto au passage, puis par Mme Haingo, la responsable des guides de Maevatanana.
Comme d'habitude, l'arrivée d'un vazaha, loin des circuits touristiques, ne passe pas inaperçue. 
Le responsable du comité des chrétiens m'attendait également pour commencer la rencontre.

En apparté, avant la réunion :
Père Jeannot :
"Tu sais, Mme Haingo est assez connue ici pour  mettre la main dans la caisse donc si tu le veux bien, ce serait mieux qu'elle n'ai pas à gérer l'argent du projet. Tu vas voir, elle est très fière que des vazaha viennent pour faire un projet avec les Fanilo parce que c'est comme si elle avait gagné le gros lot".
Mme Haingo :
"Delphine, le président du comité des chrétiens est là parce qu'il veut que les compagnons construisent une extension de l'église de Maevatanana car elle est trop petite. Il est venu avec le devis. Mais moi je lui ai dit qu'ils vont venir pour faire un projet avec les Fanilo à Mahazoma auprès des enfants et qu'ils ne feront que passer par Maevatanana. Ce serait bien que tu puisse lui expliquer."
Ambiance ambiance ! Et dire que dans mon idée, j'étais venue pour approfondir la dimension pédagogique du projet avec toutes les personnes qui y participeront ! Ma naïveté n'a pas fini de me jouer des tours.
 
C'est donc par des remises au point que la rencontre à commencer. Sans me laisser déconcerter et en sortant mon plus beau malgache, j'ai remis les pendules à l'heure pour tout le monde... et le message est passé !
"Eh bien Delphine, elle sont où tes mallettes de dollards ?!... Hi hi hi " me dit le Père Jeannot pour clôturer la réunion. C'est sûr qu'il vaut mieux le prendre avec humour !  
Comme d'habitude, les vazaha resteront ceux qui apportent de l'argent.

Le lendemain à la messe, Mme Haingo viens me chercher pour que je m'installe au premier rang à côté d'elle. Ensuite, elle insiste pour que je me présente devant toute l'assemblée, plus de 300 personnes. Enfin, elle convoque tous les membres de l'association scoute pour m'exhiber une fois de plus.
Comme d'habitude, notre présence est perçue comme une flatterie pour eux.

Malheureusement, derrière cette hypocrisie de façade, il est difficile de faire avancer l'essentiel : qu'est-ce qui se joue dans la rencontre de scouts français et de scouts malgaches ? Quelle préparation est prévue pour anticiper le choc des cultures qu'elle va provoquer ? Quelles activités répondraient aux besoins de la population de Mahazoma ? ...etc. La liste est longue !

L'espoir est dans ces jeunes. Elles sont motivées, curieuses, intéressées, même engagée parfois. Elles ne savent pas ce qui les attend mais n'ont pas peur de s'y lancer pour autant. Elles ont même hâte de s'y confronter. Ce projet les fera grandir, j'en suis sûre. Il leur ouvrira de nouveaux horizons et balayera leurs préjugés. La raison de mon déplacement était de rendre ce projet plus réel pour qu'elle garde leur énergie jusqu'au mois d'août, sans s’essouffler en cous de route.


En fait, les week-end (et même les semaines !) se suivent mais ne se ressemblent pas. Celui-là était vraiment une première expérience. Difficile donc de les assimiler les uns aux autres et de parler d'habitudes. Cependant, certains éléments, que j'ai essayé de rassembler ici, semblent se répéter. J'arrive à en anticiper parfois, d'autres me surprennent encore. Long travail que celui de l'inculturation !