mardi 10 décembre 2013

Tête baissée



C’est parti d’une simple observation : en marchant dans la rue, j’ai continuellement la tête baissée.

Impossible de faire autrement sans risquer de se prendre les pieds dans les nombreux obstacles qui jalonnent n’importe quelle « promenade » dans Tananarive. Les pavés irréguliers et glissants, les trous dans le goudron, les déchets qui s’amoncellent, les torrents d’eaux qui ruissellement le long des trottoirs après les gros orages, les dalles manquantes dans les bordures laissant des trous de plusieurs mètres de profondeur, les petits vendeurs installant leurs marchandises à même le sol. Bref, mieux vaut avoir un œil attentif à l’endroit où l’on pose ses pieds ! C’est donc les yeux fixés sur les pavés que j’arpente depuis un mois les rues de la capitale pour approvisionner le chantier de tous les matériaux et outillages nécessaires aux ouvriers. Difficile de s’orienter dans cette ville où il n’existe aucuns panneaux de signalisation et encore moins indiquant une direction. Le seul moyen de retrouver son chemin est de mémoriser des points de repères qui serviront au prochain passage. Le plus drôle est de voir Jean-Baptiste, mon chef de chantier, se perdre lui aussi dans ces dédales de rues sans nom avec pour seule remarque : « On perd vite son chemin ici parce que c’est difficile de trouver le nord »… Effectivement, chacun ces repères !
Merci pour l’humour de Jean-Baptiste dans toute situation !

Tous ces achats se font au prix de nombreuses négociations et c’est bien la tête baissée, et parfois les genoux fléchis quand la discussion s’annonce longue, que les malgaches s’accordent. Là où nous, européens, nous nous installerions face à face autour d’une table, pour entamer ce bras de fer verbal, les malgaches eux, restent debout mais toujours avec les yeux rivés sur le sol. Cette position peut durer assez longtemps puisque, implicitement, le principe de la négociation établi que le gagnant est celui qui tiendra le plus longtemps sa position. Croiser le regard de l’autre serait considéré comme une marque d’irrespect. De l’extérieur il est impossible de connaître le cours de la conversation. Dénués de toute expression, les visages sont impassibles et les intonations monocordes. C’est donc avec beaucoup de curiosité que j’observe Jean-Baptiste agir de la sorte et parfois l’appuyer de quelques arguments.
Merci pour ces fous-rires, mélanges d’incompréhension et d’étonnement, qui égayent mes journées !

Toujours dans la rue, garder la tête baissée permet d’éviter de croiser trop de regards et ainsi d’avoir l’impression de passer plus inaperçu. La rue est un fourmillement continu de gens affairés ou guettant les affaires. Les regards sont souvent chargés d’envies mal intentionnées ou de provocations. Triste constatation de relations impossibles.
Merci pour les sourires échangés une fois la confiance établie.

Le second tour de l’élection présidentielle est annoncé pour le 20 décembre et c’est encore la tête baissée que le peuple malgache s’apprête à élire un nouveau dirigeant à la tête du pays. Déçue des quatre années au pouvoir du régime de transition en place depuis le coup d’état de 2009, la population a perdu toute confiance dans ses représentants politiques. Les deux candidats du second tour étant réciproquement soutenus par les deux anciens présidents (Marc Ravalomanana et Andry Rajoelina) qui comptent bien garder une influence sur le pays, le renouvellement attendu par ces élections n’est plus à l’ordre du jour. Résignés, les malgaches boudent ce vote, conscients qu’il sera le résultat de tricheries et d’arrangements et non pas de la pensée collective.
Merci pour tous ceux qui gardent de l’espérance pour Madagascar.

Nous étions attablés dans le salon de Mme Haingo, notre fournisseur principal de matériaux en vrac, pour payer les livraisons du jour. Son fils apprenait sa leçon du jour,  penché sur son cahier d’écolier. Quand il releva la tête, je constatais avec surprise qu’il lui manquait ces trois dents de devant.
-« Tsy misy nify intsony !  (Ah, il n’a plus de dents !)
-Tamin’y telo taoana, ratsy loatra ny nifyny, de asurana ny nifyny de tsy mitombo intsony. (A l’âge de trois ans ces dents étaient tellement pourries que je les lui ai fait enlever. Depuis, elles n’ont plus repoussées)
-Enina taoana izy de efa telo taona izy tsy manana nify aloha ve? (Il n’a que 6 ans et ça fait déja trois ans qu’il n’a plus de dents de devant ?)
-Izany (C’est ça) »
Merci pour toutes mes dents !


La tête baissée…
Ça peut être une attitude de repli sur soi quand le monde extérieur nous rappelle que nous sommes étrangers et devient agressif ; ça peut être un moyen de cacher ses sentiments ou ce qui nous anime intérieurement ; ça peut être une attitude d’intériorisation pour faciliter la concentration…
Les causes sont multiples, la conséquence est la même : la création d’une rupture avec ceux qui nous entourent.
Tananarive est un monde en soi, particulièrement différent du reste du pays. Cette nouvelle vie  me redemande autant d’énergie et d’adaptation qu’il y a un an, pour faire face à toutes les surprises quotidiennes. La tête est encore baissée mais les yeux sont grands ouverts pour découvrir ce nouveau monde et j’espère bientôt, m’en émerveiller.

 A défaut de photos de Tananarive, une photo de cet été, à Marotandrano, havre de paix au milieu des rizières...

PS : Le facteur du Père Noël Malgache a une antenne en France, n'hésitez pas à le solliciter avant le 6 janvier chez :


Dominique et Catherine LAURENT
12, rue de l'Héronnière
44000 NANTES
tel: 02 40 73 92 03
port: 06 35 91 66 91

mercredi 13 novembre 2013

Quand l'inattendu est quotidien

Ca y est, après une longue absence je refais enfin surface par ce nouvel article ! C'est que ce dernier mois fut riche et mouvementé et m'a éloigné d'une connexion internet facile !
Riche en retrouvailles et en prise de conscience, mouvementé en surprises et en inattendus... 

Les retrouvailles ce fut d'abord le choc de ces 15 jours passés en France début octobre. L'atterrissage à Paris fut brutal mais inévitable. J'ai été d'abord saisie par l'aéroport. Sa grandeur, sa propreté, sa luminosité, tous les matériaux différents utilisés pour fabriquer ces espaces. Tout d'un coup, notre petit chantier de foyer d'étudiants me paraissait bien modeste comparé à une construction de cette ampleur. Les briques fabriquées à la main que nous allons utiliser à Tana me paraissaient bien dérisoires à côté des immenses surfaces de verre que les français avaient su assembler à l'aéroport Charles de Gaulle.
Puis ce fut l'arrivée dans la ville et l'impression que toutes les maisons étaient des palais, toutes les voitures des carrosses brillants et toutes les femmes des princesses. La sensation de déambuler dans un musée à ciel ouvert où le culte de la beauté et de la perfection n'avait plus de limites. Difficile alors de se sentir humble ! La modestie et la simplicité des malgaches, à côté de ça, m'est apparue comme une bénédiction.
La joie de pouvoir partager de vive voix l'année qui vient de s'écouler avec chacun n'est donc venue qu'une fois que cette confrontation ce fut quelque peu estompée par vos accueils chaleureux dans ces lieux familiers. Au delà des comparaisons d'ordre matérielles qui n'ont au final pas beaucoup de sens, la plus grande différence que j'ai pu percevoir entre les français et les malgaches se situe dans leur rapport à Dieu. Ici Dieu est une évidence. Qu'il soit le Dieu des catholiques, des protestants, des musulmans ou celui des croyances ancestrales, Il est reconnu comme agissant dans leur vie tous les jours et il est prié quotidiennement. En France, Dieu devient tabou. A défaut de croire en Lui ou de Le chercher, Il est rangé au placard comme une vieillerie à laquelle seuls nos grands-parents seraient encore attachée. Il est plus difficile alors, quand on aspire à fonder sa vie en Lui, d'être compris dans certains choix qui deviennent, du coup, radicaux.

Amélie, Paul et Xavier ont vécu la secousse inverse puisqu'ils sont venus ici pour découvrir à leur tour ce que j'ai pu vivre pendant un an. Leur voyage s'est avéré très révélateur de la réalité du pays, de son fameux "mora-mora", "doucement-doucement"et de ses situations surprenantes. Le séjour s'est improvisé au rythme des personnes qui ont eu la gentillesse de nous accueillir, des turbulences intérieures, des  heures d'attentes et des distances à parcourir en taxi-brousse. Malgré les réservations préalables et les prévisions, l'inattendu était bien au rendez-vous pour pimenter ce qui s'est finalement relevé être une expédition quotidienne ! Ils sont tous les trois repartis avec le sourire, signe que ça en valait donc la peine !

Les surprises ne se sont pas arrêtées là pour moi puisque cette première semaine dans la capitale a été marquée par le vol de deux téléphones portable en une semaine. D'abord scandalisée par cette insécurité permanente qui demande une vigilance constante, prête à reprendre le taxi-brousse pour retrouver une brousse plus paisible, je me suis enfin rappelée que j'étais venue ici pour vivre avec eux et prendre part à la vie qui est la leur. Et effectivement, ce baptême d'arrivée fait partie du quotidien des Tananariviens et les histoires de ce type coulent à flot dès que chacun commence à s'exprimer.

Je vais donc surement avoir besoin d'un peu de temps pour trouver les charmes de cette ville, et ça fera certainement l'objet d'un prochain article !
En attendant, quelques photos de la brousse de Fianarantsoa et de Manakara et du trajet en train entre ces deux villes du sud-est que j'ai eu la chance de découvrir grâce à mes trois visiteurs !







mardi 1 octobre 2013

Chez moi...

Dimanche soir je suis arrivée à l’épiscopat à Tana. J’avais essayé de joindre le Père Frédérique pour le prévenir de ma venue mais il ne répondait pas. J’avais essayé de joindre le Père Paul mais il était parti de Tana pour quelques jours. Je suis donc arrivée par surprise, sans que personne ne m’attende… et pourtant il y avait un repas chaud et un lit pour dormir. Je me sens ici chez moi.

Je suis partie de Mahajanga au début du mois de juin, sans savoir où j’allais. J’ai fait ma valise en moins d’une semaine et je suis partie. Quelle allait être ma nouvelle mission ? Quand allait-elle commencer ? Où allais-je habiter ? Devrais-je réapprendre un nouveau dialecte ? Me réhabituer à de nouveaux paysages ? Autant de questions qui n’avaient pas l’ombre d’une réponse !

Alors je me suis laissé porter au grès des invitations. Et elles n’ont pas manquées. D’abord Sainte Marie, puis Anjomakely, puis Mahazoma, puis Mandritsara et Marotandrano, puis Tsarahasina. Tout ça entrecoupé de passages par Tana et Anstirabe. Mon sac sur le dos, le plus léger possible, de missions catholiques en maisons communautaires, ce fut un été (ou plutôt hiver ici !) itinérance. Pas plus de 15 jours d’affilé dans le même endroit.
Les tâches sont nombreuses ici et les aides sont toujours les bienvenues. Facile de trouver des choses à faire, de s’occuper des enfants, de donner des coups de mains là où il y a besoin.
Mais à travers tous ces échanges, il y a eu bien plus que cette utilité derrière laquelle il est si facile de se cacher. Il y a eu le sentiment de me sentir chez moi. Et c’était bien le dernier moment où je pouvais m’y attendre ! J’étais « sans domicile fixe » comme j’aimais bien le dire, et pourtant j’étais chez moi partout.

A Mahazoma, les enfants m’attendaient dès le matin pour aller se promener à travers les chemins poussiéreux de la brousse toute la journée. A Anjomakely, je traduisais l’histoire de Dumbo en malgache aux plus petites sans me rendre compte que toutes les filles de l’orphelinat s’étaient groupées autour de moi discrètement pour écouter. A Mandritsara, je négociais des lambas pendant une demi-heure, prise au jeu de ces discussions interminables d’où l’on ressort plus satisfait de l’échange jovial que de l’achat en lui-même. A Marotandrano, je plumais le poulet pour le déjeuner avec la cuisinière en essayant de déchiffrer son accent tsimiety à couper au couteau. A Anstirabe, je laissais une petite fille m’utiliser comme appui pour ses sauts de puces pendant toute une après-midi, émerveillée de son sourire jusqu’aux oreilles que rien ne semblait pouvoir assombrir.

Pendant ces quatre mois, je n’étais rien, je n’avais plus de mission, plus de fonction, plus rien qui explique ma présence ici. Et pourtant, je crois que c’était les quatre plus beaux mois. Parce qu’ici, tout ça n’a aucune importance. La valeur de ce que l’on vit dans ce pays est dans le temps partagé, dans l’accueil de ceux qui se présentent, dans cette attention à ceux qui nous entourent, même si nous ne sommes là que de passage.
J’ai découvert la joie d’être pauvre. De ne rien à apporter que moi-même, sans étiquettes ou cadres, sans prétentions, sans ces titres qui creusent des fossés là où on aimerait construire des ponts. Et ainsi la joie d’une vie plus simple où les codes semblent abolis au profit d’échanges spontanés.

Je reste vazaha. Et donc sur un pied d’estale dans la conception malgache. J’ai même été surnommée par le Père Jeannot « Fille de François Hollande, Ambassadrice de France à Mahazoma» dans un grand éclat de rire réciproque. Mais ça ne les empêche pas de me faire une place dans leur cœur et de les laisser en faire une dans le mien, pour qu’ensemble, on se sente ici  chez nous.

Comme ces instants ne se photographient pas, en voici d'autres...










lundi 26 août 2013

Cette fameuse rencontre...

Il y a un mois...
...j'avais rendez-vous avec une équipe de Compagnons Scouts et Guides de France. Ils arrivaient à Madagascar pour réaliser leur projet de solidarité à Andasibe. Ils étaient jumelés avec une équipe de 5 guides malgaches pour repeindre des salles de classes, faire de l'animation avec des enfants et former des professeurs de français. En soi, rien de nouveau dans le paysage de l'action humanitaire. 
Nous nous étions déjà croisés lors de leur arrivée à Tana pour les accueillir et en profiter pour faire le point sur leurs inquiétudes, leurs interrogations et surtout sur leurs attentes. Leurs envies de rencontres étaient, pour tous, au cœur de ce voyage qu'ils préparaient déjà depuis plus d'un an en France.

Aujourd'hui...
...j'avais rendez-vous avec eux pour... Pour quoi au fait ? En y allant, je me suis posée la question. Qu'est-ce que j'ai à leur apporter ? Accepteront-ils de partager avec moi ce qu'ils ont vécu ? Ils ont déjà bien assez de personnes en France qui vont les assaillir de question dès leur arrivée ! C'est surement beaucoup trop tôt pour faire un bilan et prendre du recul, ils n'ont même pas encore quitté le sol malgache !
Et pourtant le rendez-vous était pris et il fallait y aller...!

Pour certains il était trop tôt pour parler. Trop d'images dans la tête pour pouvoir en sélectionner une ou deux. Trop de gens rencontrés pour savoir lesquels les ont le plus marqués. 
Pour une autre il y avait des frustrations. Celle d'avoir croisé beaucoup de personnes mais de ne pas avoir forcément pu partager en profondeur avec elles. Celle de s'être sentie limitée dans ses échanges, par la langue un petit peu mais surtout par ces différences culturelles qui sont devenues tout d'un coup très concrètes ! Celle de ne pas avoir réussi à tout comprendre des malgaches, de leurs réactions, de leurs rires, de leur quotidien.
Pour un autre il y avait de grandes joies. Celle d'avoir accueilli chaque jour et chaque instant comme une grande richesse. Celle d'avoir laissé des enfants tirer dans une balle de tennis avec un bâton de canne à sucre plutôt que de s'entêter à leur faire respecter les règles de la thèque. Celle de les voir s'amuser avec le peu de choses qu'ils avaient pu leur apporter.

Et c'était beau. Parce que c'était vrai. 
A eux 6 ils avaient vécu exactement ce que j'avais pu ressentir depuis ces 8 mois. 

Des moments magiques où la terre pourrait s'arrêter de tourner qu'on ne s'en apercevrait même pas. Des moments où ce que l'on voit ou ce que l'on entend dépasse largement tout ce qu'on l'on aurait pu imaginer. Et puis des moments de grande solitude où on ne sait plus comme se situer par rapport à ceux qui nous entourent, où les situations nous échappent complètement, où on ne comprend plus et où on arrive plus à se faire comprendre.

Je me souviens de cet homme, sur l'île Sainte Marie, qui nous a accompagné à pieds pendant quelques heures pendant notre randonnée au mois de juin. Il me racontait sa vie de pécheur. Ce qu'il péchait, combien il le vendait, la fluctuation des prix en fonction du nombre de touristes dans les hôtels de l'île, comment il conservait le poisson quand il n'y avait pas d'acheteurs. Il m'expliquait qu'il n'était allé qu'une fois jusqu'à Tana mais qu'il ne connaissait pas le reste de la grande île. Il me demandait à quoi ressemblait Mahajanga, et l'Europe, et la France. Et j'essayais de lui rendre ces lieux plus proche en essayant de trouver des points communs pour qu'il puisse se les représenter plus facilement.
Deux cœurs attentifs, quatre oreilles grandes ouvertes, une belle rencontre malgré le peu de temps passé ensemble !

Et puis il y a eu cette invitation des ouvriers du chantier de Mahajanga pour un famadihana au milieu du mois d'août dans la région d'Ambatolampy. Il s'agit d'une fête traditionnelle où les malgaches sortent les morts des tombeaux et changent les tissus qui entourent les ossements. Elle a lieu tous les cinq ou sept ans et rassemble tous les membres de la famille, même ceux très éloignés qui font le déplacement pour l'occasion. J'étais à la fois très touchée de l'invitation, heureuse de les revoir et curieuse de découvrir cette coutume. Et mon étonnement fut très grand. Tout le village se préparait à la fête : les habitants des villages voisins poussaient des palettes bricolées avec des petites roues pour transporter des caisses de boissons, des tables, des marmites; des groupes électrogènes étaient apportés sur des charrettes à zébus pour faire fonctionner les baffles pour la musique; les cochons étaient égorgés à coups de machettes puis leurs poils brulés et ensuite leurs entrailles ouvertes devant  les enfants tout excités; les litres de rhum coulaient déjà à flot alors que la matinée venait à peine de commencer. Bref, un univers surprenant et incompréhensible pour une européenne comme moi. Un sentiment d'étrangeté mêlé à un étonnement sans limites. Moi qui les avaient côtoyés pendant 6 mois sur le chantier, je me rendais compte à quel point j'avais encore si peu saisi qui ils étaient et ce qui les animait.

Dernièrement, le Père Frédérique qui est chargé de l'accueil à l’épiscopat de Tana me montrait le dos de sa main en me disant : "Tu vois, on a la même couleur de peau". Sur le coup j'étais un peu dubitative parce que, autant certains malgaches des hauts plateaux ont la peau assez claire et peuvent éventuellement se faire passer pour des vazaha, autant lui vient de la côte Est et a la peau plutôt foncée. 
Et puis il l'a retournée pour me présenter sa paume. Et j'ai compris où ils voulait en venir. Et on a éclaté de rire ensemble !

Les rencontres...
Il y a celles que l'on espère, celles que l'on imagine, celles que l'on idéalise.
Et puis celles qui se présentent et qui nous surprennent. Elles deviennent tout d'un coup réelles et nous obligent à dépasser nos idées reçues, nos certitudes et nos petites vérités dans lesquelles on s'installe si confortablement.

Rencontrer c'est d'abord accueillir l'autre et essayer de le rejoindre dans ce qu'il vit.  C'est essayer de se mettre à sa hauteur pour comprendre d'où il vient et ce qu'il est. C'est accepter d'ouvrir son cœur à l'inconnu pour partager ce que nous sommes. C'est rechercher l'unité là où on ne voit que ce qui nous sépare.

Deux mondes qui se croisent. Parfois ils se rencontrent, parfois ils s'entrechoquent. Mais à chaque fois cela produit des étincelles qui les fait grandir. C'est magique, et ça, les Compagnons l'ont déjà compris !


PS : J'ai la grande joie de rentrer en France du 2 au 16 octobre prochains ! Pour ceux que je n'aurais pas encore contactés, n'hésitez pas à me faire signe pour que l'on puisse ... se rencontrer !!

mardi 30 juillet 2013

La vie est prière




Seigneur,

Merci, 

de m'avoir ouvert les yeux sur toutes les petites choses qui nous séparent et sur toutes les grandes qui nous unissent,


de m'apprendre à aimer, jour après jour,


de la joie que tu mets dans les cœurs de tous ces enfants,




de me donner ce temps pour apprendre à vivre pleinement et Te découvrir dans tous ceux que je rencontre,


pour la beauté de Ta Création,


de me laisser m'abandonner à Ta volonté, là où Tu veux que je sois et non pas là où j'avais prévu d'être,


 pour la foi du peuple malgache,


S'il te plaît,

Aide-moi à préserver ce regard d'enfant émerveillé sur le monde qui l'entoure, qui est en chacun de nous,


Apprends-moi à accueillir tous ceux qui viennent frapper à ma porte,


Apprend-moi à encourager plutôt qu'à rabaisser,


Fais de ces enfants des jeunes responsables désireux de s'engager dans l'avenir de leur pays,


 Ouvre les cœurs et les yeux pour que soient chassés le rejet et l'indifférence,


Apprends-moi à trouver le Merveilleux dans chaque journée que tu nous donnes,


Ces photos ont été prises lors de la colonie de vacances organisée par la Communauté du Chemin Neuf pendant 15 jours pour les enfants du quartier de Miaramasoandro à Antsirabe, et animée par des jeunes lycéens français et malgaches.

vendredi 5 juillet 2013

Des rêves à la réalité... la prochaine mission s'annonce dans la confiance !


Tout d'un coup l'horizon s'est ouvert. Je déménage, je change de ville, je change de mission, je change de quotidien...
Qu'est-ce que me réserve l'avenir ? Et comment je peut l'influencer en émettant quelques propositions sur ce que j'ai envie de vivre ici, pour les 18 prochains mois...

Je me suis donc mise à rêver...
A une vie en brousse loin de l'agitation citadine,
A une une mission pas trop exigente professionnellement,
A des activités avec des enfants,
A une liberté d'action plus importante,
A des personnes avec qui je pourrais rire,
A des petites missions parallèles qui me permettraient de ne pas faire que de la construction,
A me perdre dans les chemins sillonnant la brousse, sans but, sans limites de temps ni d'espace,
A animer un groupe de prière avec les jeunes, ou moins jeunes,
A ne parler plus que malgache,

Bref, rêver... Et ça fait du bien !
 
Du coup, quand le Père Bertrand m'a demandé de rencontrer un couple de la Communauté du Chemin Neuf qui avait un projet de construction à Tana ma réponse a été plutôt claire : Non ! C'est bien le dernier endroit à Madagascar où j'ai envie d'habiter ! Tous les échos que j'en avaient eu étaient plutôt unanimes : le bruit, la pollution, les agressions, les mendiants, les embouteillages, la saleté, l’indifférence, la vie des expats qui ressemble à celle des habitants de Wisteria Lane... Et j'en passe ! Que du bonheur en perspective ! Donc c'était non. Le pays est assez grand pour que je n'atterrisse pas là ! Et puis ça ne correspondait pas du tout à l'image des mes rêves... :)

Donc je suis partie en vacances, à Ste Marie, avec Olivia et Sarah. Parce qu'il existe des endroits magnifiques dans ce pays, parce c'était une semaine de fou rires en perspective qui s'annonçait et parce qu'une coupure comme celle-ci permet de tourner la page plus rapidement et de se projeter plus facilement dans le futur ensuite.
Et ça n'a pas loupé ! Des plages sublimes, même si l'eau était trop froide à notre goût (sic !), des rencontres formidables d'hommes nous accompagnant au long de nos randonnées, des filets de poisson grillés et des crevettes sauce coco à tous les repas. Splendide !

Et le résultat est d'autant plus convaincant... qu'au retour j'étais disposée à re-rencontrer l'équipe de la Communauté du Chemin Neuf pour approfondir la question d'une possible collaboration.

Il se trouve que l'architecte français semble sérieux, que je ne serais plus seule, que mes deux coéquipiers seront vazaha et expérimentés, qu'il y aura une certaine exigence mais que je serais soutenue, que le chantier se trouve en haut d'une colline avec une vue à 180° sur Tana et que finalement, tout ça peut être très enrichissant !
Il suffit donc de faire certains renoncements... Adieu veaux, vaches, cochons, couvée ! Et se réjouir de cette nouvelle mission qui arrive au bon moment ! Cette fois-ci j'arrive un peu plus en amont donc je vais pouvoir préparer le chantier et aller au devant des formalités administratives ! O joie de ne plus subir continuellement en accumulant les incompréhensions !

En attendant, je pose mes valises quelques temps à Antsirabe où la Communauté du Chemin Neuf organise une grande colo au mois de juillet. La fête du soutien scolaire le week-end dernier m'a déja donné un aperçu de la joie avec laquelle petits et grands accueillent les jeux proposés. La suite s'annonce aussi animée !

La suite en images...
Sainte-Marie...


A l'embouchure du fleuve Marimbona à Soanierana Ivongo

Une des nombreuses plages de l'île aux nattes

La mangrove de la baie d'Ampanihy






mardi 11 juin 2013

Le vent tourne

Il y eu un temps où je suis arrivée, où j'ai découvert, où j'ai observé, où j'ai fait connaissance avec ce nouveau monde et avec les gens qui y habitaient.

Puis, il y eu un temps où j'ai essayé de comprendre les relations entre les hommes, le rôle de chacun, l'organisation du travail, et où j'ai tenté de mettre en place des outils de gestion et de planification du temps, des commandes, des différentes tâches.

Et maintenant le moment est arrivé de reconnaître que les moyens ne sont pas réunis pour fournir un travail satisfaisant qui permettra à cette construction d'offrir un cadre propice à la dispense de soins et à la guérison des malades. Moyens humains, moyens financiers, moyens techniques, rien n'a été évalué correctement et aucune évolution n'est envisagée.

Il est donc temps de partir... 
Moments des au revoir déchirants car c'est un départ brutal même s'il est l'aboutissement de longues réflexions de mon côté. Déchirants aussi car nous nous étions attachés les uns aux autres et que même si la collaboration professionnelle n'a peut-être pas apporté tous les résultats attendus, les liens que l'on a pu créer ensemble sont bien réels. Les larmes ont donc coulées (et oui, on ne se refait pas !) dans un mélange de joie et de tristesse. Joie de pouvoir regarder en arrière sans rien regretter de ce qui a été vécu. Tristesse de la séparation douloureuse.

Je n'oublierais pas tous ceux avec qui j'ai partagé mon quotidien...

L'équipe des ouvriers
dont
...Tsiry, le doux, qui veut que je lui envoie à Madagascar tous ce dont les français se débarrassent "parce que ici, on réutilise tout !",
...Raymond, le comique, qui n'a jamais oublié de me saluer quand je quittais le chantier,
...Haja, le sous-chef, qui sait se faire respecter avec ces coups de gueules se terminant toujours par un sourire plein d'affection,
...Solo, le motivé, qui n'avait pas peur de venir me parler, même si je ne comprenais rien de ce qu'il disait,
...Rainavo, le solitaire, qui travaillait dans son coin et qu'il ne fallait pas trop déranger.


Les petits séminaristes de Mahajanga
dont
...Théodore, les bras grand ouverts, égayant chacun de nos rendez-vous par ses éclatements de rire inimitable mais qui n'a pas progressé d'un mot en français non plus,
...Safidi, le poète, pas bavard mais toujours assidu et assoiffé de progresser
...Soliman, le charmeur, mais qui voulait tout me piquer : mes chaussures, mon sac, mon polo MEP, ...
...Estima, le président, grand adepte du mora-mora et donc pas très rapide au Dobble,
...Hermès, le sérieux, ayant toujours une opinion précise sur les sujets des débats,
...Thomas, le dragueur, qui n'a pas encore compris que les séminaristes n'étaient pas censé s'intéresser de trop près aux filles.

La communauté de l'évêché
dont
...Daniel, le secrétaire discret à l'humour décapant (quand il tire, il touche !),
...Désiré (ou Radési), le cuisinier qui n'a jamais voulu me laisser toucher à ses fourneaux,
...Patrice, le seul stagiaire qui a terminé le livre que nous avions commencé à lire au début de l'année,
...René, qui n'a toujours pas compris que ce n'était pas marqué "banque" mais "volontaire" sur ma porte,
...Soeur Antoinine, qui était toute heureuse de faire la planche dans l'eau le jour de notre sortie à la mer,

Les volontaires suisses
...Rachel, pharmacienne,la plus "pro" de nous toutes,
...Olivia, qui a très bien compris que le "vivre avec" était plus important que le "faire",
...Sarah, et son "Ewah" mythique (le "oui" des Mahajangais)
...Valérie, chauffeur officiel des Sœurs d'Anbodrona,

et tous les autres : les Soeurs de St Maurice, les Pères de Don Bosco, les enfants de l'orphelinat de Véronique, les voisins du chantier...

Les prochaines aventures resteront bien malgaches, impensable de partir d'ici maintenant, c'est trop top. Et puis il y a ceux que j'espère revoir bientôt et avec qui j'aurais beaucoup de plaisir à travailler. Quelques idées sont déjà lancées et je compte bien leur donner une suite... au prochain épisode !

mercredi 5 juin 2013

Wazala é !

Wazala, c'est le signe de l'étonnement. é, c'est le signe de la joie. Wazala é c'est donc l'étonnement qui réjouit, l'émerveillement.
Le week-end dernier était placé sous le signe du wazala é !

Après maintes et maintes invitations, j'ai enfin cédé à la proposition du Père Jeannot de venir lui rendre visite dans sa mission, à Mahazoma, en brousse. Pour s'y rendre, il faut compter une journée de trajet depuis Mahajanga. Une demi journée jusqu'à Maveatanana en taxi brousse sur la route nationale qui va à Tana puis une autre demi journée en moto, sur une ancienne route goudronnée qui redeviens, jour après jour, un chemin de terre.
A chaque fois que je quitte le goudron (les routes nationales), c'est une nouveau monde qui s'ouvre à moi. De nouveaux paysages, de nouveaux modes de vie. Je ne sait plus où poser les yeux tellement tout me surprend, tellement je suis loin de leur rythme de vie, de leurs préoccupations, de leurs activités, de leurs savoirs-faire. 

Perte totale de repères, impression d'être dans un film déconnecté de notre réalité. Mais non, je suis bien là, c'est bien moi. Je refait le parcours que j'ai effectué le matin même depuis Mahajanga et il y a 6 mois depuis la maison à St Fuscien pour m'assurer qu'il n'y a pas de trou noir. Non, tout est là, pas d'erreur, je ne suis pas sur une autre planète mais seulement ailleurs. Un inconnu difficilement saisissable, impossible à comprendre, mais pourtant réel.

Alors que faire ? Fermer la porte de ma chambre et m'isoler avec un bon bouquin pour apaiser mon esprit et mon cœur affolés devant tant d'étonnement ? Ou me laisser porter par ceux qui m'accueillent et qui se sont montrés jusque là plutôt avenants ?
J'ai donc opté pour la deuxième solution !

Paroissiens venant saluer le Père Jeannot pour son anniversaire

 Wazala é, c'est l'expression favorite du Père Jeannot.Il est jeune, il viens tout juste d'avoir 34 ans et seulement 2 ans de prêtrise derrière lui. Il dirige également le Collège St Pierre et Paul de Mahazoma qui compte une soixantaine d'élèves répartis dans les 4 classes. Comme il le dit lui même, en brousse, le prêtre n'a pas pour seule mission d'aider les chrétiens dans la prière mais également de remplir tous les devoirs que l'état ne remplit pas, c'est à dire financer, construire et gérer des établissements scolaires et des centres de soins, et notamment lutter contre la corruption.

Mais tout cela ne l’effraie pas et il garde le sourire. Il rit. Tout le temps. De tout. De lui même. Des autres. De mes réactions souvent inappropriées dans ce contexte ou au contraire témoignant d'une inculturation en cours ! Et c'est contagieux donc tout le monde en profite ! Mais entre les deux, je ne sis pas qui est sorti le plus étonné de ce week-end hors du temps !

"Wazala é, mahay mandihy kilalaka izy !" ("Ouahou, elle sait danser le kilalaka !" - musique très répandue en brousse-) (en réalité, juste les mouvements de tête !)
"Wazala é, efa mahay miteny tsimiet izy !" ("Ouahou, elle sait déja parler le tsimiet !" - dialecte du nord de Madagascar) (en réalité, juste les expressions les plus courantes !)
"Wazala é, efa mahay mikarakara ny sakafo vazaha izy ! ("Ouahou, elle sait préparer le repas des vazaha") ( en réalité, j'ai mélangé des pâtes avec du concentré de tomates en boîte et une boîte de sardine !)
"Wazala é, efa mahay manofy ny vary izy !" ("Ouahou, elle sait tamiser le riz pour retirer l'enveloppe du grain") (en réalité, c'est un geste assez simple qui ne demande pas beaucoup d'entrainement !)



Wazala é, pour moi, c'était de me réveiller de ma sieste et d'improviser un cours d'Histoire-Géographie avec les 5 ème par ce que l'enseignant est malade.
De me laisser emmener de maisons en maisons parce que tous les élèves voulaient me présenter leur maison et leurs parents.
De voir et d'entendre, depuis le haut de la colline, la vie très animée du village se dérouler sous mes yeux, entre les cris des coqs, les grognements des cochons, les meuglements des zébus, les cris des enfants et les cliquetis des charrettes.
De les voir marcher pieds nus,  dans tout le village, de jour comme de nuit, sur le sable, les cailloux et les détritus.
De vivre au rythme de la brousse : lever à 4h du matin, coucher à 20h. 
De retrouver ce sentiment de liberté immense face à ces étendues sauvages infinies.
De constater la vitalité des communautés chrétiennes qui parcourent des distances immenses à pieds pour se rassembler pour prier ensemble et fêter, ce week-end, l'année de la foi.
De vivre comme eux, "porte ouverte", toujours à la disposition des uns et des autres, jamais seule, jamais au calme.

Descente du drapeau dans la "cour" du Collège St Pierre et Paul à la fin de la journée



Ils sont venus chercher des poissons dans les petits villages près de Mahazoma pour les revendre à Maveatanana car c'est le jour du marché

Le retour à Mahajanga en moto fut fantastique. Après les 3 heures de routes chaotiques, nous avons rejoins la nationale et poursuivis jusqu'à Mahajanga pendant 6h. Le temps pour moi de revivre toutes ces moments, gestes, attentions, paroles qui réjouissent le cœur de ceux qui les donnent autant que ceux qui les reçoivent.