mardi 11 juin 2013

Le vent tourne

Il y eu un temps où je suis arrivée, où j'ai découvert, où j'ai observé, où j'ai fait connaissance avec ce nouveau monde et avec les gens qui y habitaient.

Puis, il y eu un temps où j'ai essayé de comprendre les relations entre les hommes, le rôle de chacun, l'organisation du travail, et où j'ai tenté de mettre en place des outils de gestion et de planification du temps, des commandes, des différentes tâches.

Et maintenant le moment est arrivé de reconnaître que les moyens ne sont pas réunis pour fournir un travail satisfaisant qui permettra à cette construction d'offrir un cadre propice à la dispense de soins et à la guérison des malades. Moyens humains, moyens financiers, moyens techniques, rien n'a été évalué correctement et aucune évolution n'est envisagée.

Il est donc temps de partir... 
Moments des au revoir déchirants car c'est un départ brutal même s'il est l'aboutissement de longues réflexions de mon côté. Déchirants aussi car nous nous étions attachés les uns aux autres et que même si la collaboration professionnelle n'a peut-être pas apporté tous les résultats attendus, les liens que l'on a pu créer ensemble sont bien réels. Les larmes ont donc coulées (et oui, on ne se refait pas !) dans un mélange de joie et de tristesse. Joie de pouvoir regarder en arrière sans rien regretter de ce qui a été vécu. Tristesse de la séparation douloureuse.

Je n'oublierais pas tous ceux avec qui j'ai partagé mon quotidien...

L'équipe des ouvriers
dont
...Tsiry, le doux, qui veut que je lui envoie à Madagascar tous ce dont les français se débarrassent "parce que ici, on réutilise tout !",
...Raymond, le comique, qui n'a jamais oublié de me saluer quand je quittais le chantier,
...Haja, le sous-chef, qui sait se faire respecter avec ces coups de gueules se terminant toujours par un sourire plein d'affection,
...Solo, le motivé, qui n'avait pas peur de venir me parler, même si je ne comprenais rien de ce qu'il disait,
...Rainavo, le solitaire, qui travaillait dans son coin et qu'il ne fallait pas trop déranger.


Les petits séminaristes de Mahajanga
dont
...Théodore, les bras grand ouverts, égayant chacun de nos rendez-vous par ses éclatements de rire inimitable mais qui n'a pas progressé d'un mot en français non plus,
...Safidi, le poète, pas bavard mais toujours assidu et assoiffé de progresser
...Soliman, le charmeur, mais qui voulait tout me piquer : mes chaussures, mon sac, mon polo MEP, ...
...Estima, le président, grand adepte du mora-mora et donc pas très rapide au Dobble,
...Hermès, le sérieux, ayant toujours une opinion précise sur les sujets des débats,
...Thomas, le dragueur, qui n'a pas encore compris que les séminaristes n'étaient pas censé s'intéresser de trop près aux filles.

La communauté de l'évêché
dont
...Daniel, le secrétaire discret à l'humour décapant (quand il tire, il touche !),
...Désiré (ou Radési), le cuisinier qui n'a jamais voulu me laisser toucher à ses fourneaux,
...Patrice, le seul stagiaire qui a terminé le livre que nous avions commencé à lire au début de l'année,
...René, qui n'a toujours pas compris que ce n'était pas marqué "banque" mais "volontaire" sur ma porte,
...Soeur Antoinine, qui était toute heureuse de faire la planche dans l'eau le jour de notre sortie à la mer,

Les volontaires suisses
...Rachel, pharmacienne,la plus "pro" de nous toutes,
...Olivia, qui a très bien compris que le "vivre avec" était plus important que le "faire",
...Sarah, et son "Ewah" mythique (le "oui" des Mahajangais)
...Valérie, chauffeur officiel des Sœurs d'Anbodrona,

et tous les autres : les Soeurs de St Maurice, les Pères de Don Bosco, les enfants de l'orphelinat de Véronique, les voisins du chantier...

Les prochaines aventures resteront bien malgaches, impensable de partir d'ici maintenant, c'est trop top. Et puis il y a ceux que j'espère revoir bientôt et avec qui j'aurais beaucoup de plaisir à travailler. Quelques idées sont déjà lancées et je compte bien leur donner une suite... au prochain épisode !

mercredi 5 juin 2013

Wazala é !

Wazala, c'est le signe de l'étonnement. é, c'est le signe de la joie. Wazala é c'est donc l'étonnement qui réjouit, l'émerveillement.
Le week-end dernier était placé sous le signe du wazala é !

Après maintes et maintes invitations, j'ai enfin cédé à la proposition du Père Jeannot de venir lui rendre visite dans sa mission, à Mahazoma, en brousse. Pour s'y rendre, il faut compter une journée de trajet depuis Mahajanga. Une demi journée jusqu'à Maveatanana en taxi brousse sur la route nationale qui va à Tana puis une autre demi journée en moto, sur une ancienne route goudronnée qui redeviens, jour après jour, un chemin de terre.
A chaque fois que je quitte le goudron (les routes nationales), c'est une nouveau monde qui s'ouvre à moi. De nouveaux paysages, de nouveaux modes de vie. Je ne sait plus où poser les yeux tellement tout me surprend, tellement je suis loin de leur rythme de vie, de leurs préoccupations, de leurs activités, de leurs savoirs-faire. 

Perte totale de repères, impression d'être dans un film déconnecté de notre réalité. Mais non, je suis bien là, c'est bien moi. Je refait le parcours que j'ai effectué le matin même depuis Mahajanga et il y a 6 mois depuis la maison à St Fuscien pour m'assurer qu'il n'y a pas de trou noir. Non, tout est là, pas d'erreur, je ne suis pas sur une autre planète mais seulement ailleurs. Un inconnu difficilement saisissable, impossible à comprendre, mais pourtant réel.

Alors que faire ? Fermer la porte de ma chambre et m'isoler avec un bon bouquin pour apaiser mon esprit et mon cœur affolés devant tant d'étonnement ? Ou me laisser porter par ceux qui m'accueillent et qui se sont montrés jusque là plutôt avenants ?
J'ai donc opté pour la deuxième solution !

Paroissiens venant saluer le Père Jeannot pour son anniversaire

 Wazala é, c'est l'expression favorite du Père Jeannot.Il est jeune, il viens tout juste d'avoir 34 ans et seulement 2 ans de prêtrise derrière lui. Il dirige également le Collège St Pierre et Paul de Mahazoma qui compte une soixantaine d'élèves répartis dans les 4 classes. Comme il le dit lui même, en brousse, le prêtre n'a pas pour seule mission d'aider les chrétiens dans la prière mais également de remplir tous les devoirs que l'état ne remplit pas, c'est à dire financer, construire et gérer des établissements scolaires et des centres de soins, et notamment lutter contre la corruption.

Mais tout cela ne l’effraie pas et il garde le sourire. Il rit. Tout le temps. De tout. De lui même. Des autres. De mes réactions souvent inappropriées dans ce contexte ou au contraire témoignant d'une inculturation en cours ! Et c'est contagieux donc tout le monde en profite ! Mais entre les deux, je ne sis pas qui est sorti le plus étonné de ce week-end hors du temps !

"Wazala é, mahay mandihy kilalaka izy !" ("Ouahou, elle sait danser le kilalaka !" - musique très répandue en brousse-) (en réalité, juste les mouvements de tête !)
"Wazala é, efa mahay miteny tsimiet izy !" ("Ouahou, elle sait déja parler le tsimiet !" - dialecte du nord de Madagascar) (en réalité, juste les expressions les plus courantes !)
"Wazala é, efa mahay mikarakara ny sakafo vazaha izy ! ("Ouahou, elle sait préparer le repas des vazaha") ( en réalité, j'ai mélangé des pâtes avec du concentré de tomates en boîte et une boîte de sardine !)
"Wazala é, efa mahay manofy ny vary izy !" ("Ouahou, elle sait tamiser le riz pour retirer l'enveloppe du grain") (en réalité, c'est un geste assez simple qui ne demande pas beaucoup d'entrainement !)



Wazala é, pour moi, c'était de me réveiller de ma sieste et d'improviser un cours d'Histoire-Géographie avec les 5 ème par ce que l'enseignant est malade.
De me laisser emmener de maisons en maisons parce que tous les élèves voulaient me présenter leur maison et leurs parents.
De voir et d'entendre, depuis le haut de la colline, la vie très animée du village se dérouler sous mes yeux, entre les cris des coqs, les grognements des cochons, les meuglements des zébus, les cris des enfants et les cliquetis des charrettes.
De les voir marcher pieds nus,  dans tout le village, de jour comme de nuit, sur le sable, les cailloux et les détritus.
De vivre au rythme de la brousse : lever à 4h du matin, coucher à 20h. 
De retrouver ce sentiment de liberté immense face à ces étendues sauvages infinies.
De constater la vitalité des communautés chrétiennes qui parcourent des distances immenses à pieds pour se rassembler pour prier ensemble et fêter, ce week-end, l'année de la foi.
De vivre comme eux, "porte ouverte", toujours à la disposition des uns et des autres, jamais seule, jamais au calme.

Descente du drapeau dans la "cour" du Collège St Pierre et Paul à la fin de la journée



Ils sont venus chercher des poissons dans les petits villages près de Mahazoma pour les revendre à Maveatanana car c'est le jour du marché

Le retour à Mahajanga en moto fut fantastique. Après les 3 heures de routes chaotiques, nous avons rejoins la nationale et poursuivis jusqu'à Mahajanga pendant 6h. Le temps pour moi de revivre toutes ces moments, gestes, attentions, paroles qui réjouissent le cœur de ceux qui les donnent autant que ceux qui les reçoivent.