dimanche 12 octobre 2014

Bribes de culture malgache (2) : l'argent


Trois scènes du quotidien.
Insignifiantes au premier abord, même pour moi.
Mises bout à bout, elles me semblent pourtant donner un aperçu assez juste des questions qui minent l'économie malgache.

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C'était dans le Ministère de l'Aménagement du Territoire et de la Décentralisation, au Service des Domaines et de la Topographie, sur les bords du Lac Anosy, il y a quelques semaines. Je venais demander un extrait cadastral pour une parcelle que la Communauté souhaite acquérir prochainement. Munie du numéro du titre foncier et du nom de la propriété, je redécouvrais ces lieux déja explorés l'année dernière pour les mêmes démarches que j'avais effectué pour la parcelle sur laquelle nous construisons actuellement. Les lieux m'étaient donc familiers : une effervescence digne des marchés, des agents administratifs assis derrière de grands registres manuscrits, le bruit régulier des tampons rouges qui viennent certifier des documents officiels.
Je demande au gardien de l'accueil de m'indiquer la direction pour le guichet qui délivre les plans cadastraux (les indications au dessus des bureaux ne correspondent pas toujours à l'activité de celui qui se trouve en dessous !). Une dernière question me traverse l'esprit :
"-Manditra firy andro anovana ireto taratasy ireto ? (Et, quel est le délai pour l'obtention de ces documents ?)
- Herinandro telo. (Trois semaines)
-Ela be izany ! (C'est long !)" ... (Mes vieux réflexes de parisienne pressée ressurgissent toujours quand il ne faut pas !)
Il m'adresse alors au guichet mitoyen de celui qu'il m'avait alors présenté, sans que je ne m'en rende vraiment compte.
Je m'adresse à l'agent, lui présente ma demande, et lui confie les informations dont il a besoin. Il me propose de revenir deux jours plus tard pour venir retirer mes plans. Puis vient ensuite le moment fatidique :
-"Ohatrinona ilay izy ? (C'est combien ?)
- Tela alina Ariary isak'i taratasy (30 000 Ariary chaque plan)"

Mon voisin, qui a suivi notre conversation, me glisse alors :
-"Il faut lui donner discrètement".
- Ah !"
Ayant enfin compris la situation dans laquelle je m'étais fourrée, je regarde l'agent fièrement en lui lançant :
-"Et vous donnez un reçu ?
-Non.
-Ah bon, parce que moi j'ai besoin d'un reçu pour ma comptabilité.
-Alors il faut aller au guichet d'à côté. 
-Très bien."

Au guichet d'à côté, c'était 15 000 Ar pour les trois plans, avec un joli reçu tamponné à l'encre rouge.

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C'était dans mon bureau/dortoir (bureau pour moi le jour, dortoir pour les ouvriers la nuit !). Nous venions de terminer les contre-mesures des tableaux des baies avec Monsieur Olivier, le technicien de l'entreprise de menuiseries aluminium avec laquelle nous travaillons. Les maçons avaient travaillés toute la semaine précédente pour terminer les crépis et les appuis des baies. J'avais donc fait venir le menuisier pour prendre les mesures exactes des portes et des fenêtres commandées afin qu'il puisse lancer la fabrication.
Ayant rajouté quelques éléments à l'ancien devis, il fallait en signer un nouveau et reverser un acompte. Le contrat stipulait 75% à la signature, 15 % avant la fabrication et 10% à la pose. Le compte du chantier commençait à être dans le rouge après les grosses dépenses de la charpente et je ne pouvais pas lui donner les 75% désirés le jour même.
Assez compréhensif, il accepte facilement le montant que je lui propose en lui garantissant que je verserais le reste au moment de la pose, quinze jours plus tard.

Le lendemain, je reçois un appel un peu paniqué :
-"Oui, bonjour Mademoiselle Delphine. Il y a un souci avec le chèque d'hier. Est-ce que vous pouvez passer voir la directrice administrative aujourd'hui ?
-Oui, pas de soucis."

Mme Vohierana, la directrice administratif et commerciale me reçois, comme toujours, très amicalement dans leur locaux. 
"-En fait, il n'y a pas de soucis avec votre chèque, mais le patron est karane (indos-pakistanais vivants à Madagascar) et il n'a pas confiance en les malgaches. Il s'étonnait du montant de votre chèque et a cru que vous aviez corrompu Mr Olivier en lui donnant une partie de l’acompte en liquide et le reste en chèque. Mais moi je sais bien que Monsieur Olivier est honnête mais vous savez, les karanes sont très méfiants."

Oui, je vois !
On pourrait juste voir dans cette situation un manque de confiance entre un patron et son salarié. Mais au delà de ce premier clivage, l'exemple est révélateur du fonctionnement de l'économie dans la capital :  des entreprises tenues par des karanes qui, depuis leurs larges fauteuils en cuir, surveillent les 10 écrans plats qui leur permettent de suivre tous les mouvements dans leurs locaux. Et des malgaches, fouillés à la sortie de chaque entrepôts, suspectés de vols en régulièrement.

Oui, les vols sont courants. Fréquents. Permanents ?
Mais comment réagir de manière juste quand il s'agit pour la plupart de leur seul moyen de subsistance ?
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Cette fois-ci, j'étais dans une petite quincaillerie, toujours tenue par un karane, toujours assis dans son grand fauteuil en cuir.
Je venais acheter de la peinture. En grosse quantité.
Accueillie par un vendeur malgache, je lui présente la liste de ce dont j'ai besoin et commence les négociations avec les arguments habituels : "je viens souvent", "je prends de grosses quantités", "nous construisons même une deuxième maison ensuite"...
Il me donne les remises escomptées, et même plus !
En sortant du magasin pour rejoindre le dépôt, il tient absolument à m'accompagner.
Ce n'est qu'arrivés à la voiture qu'il me dévoile enfin son jeu :
-"Je vous ai fait de grosses réductions, est-ce que vous pouvez me donner un petit cadeau ?" (comprendre de l'argent)"

Donner un pourboirs aux manutentionnaires parce qu'ils portent toutes la journée des charges considérables, oui.
Mais acheter un vendeur pour qu'il nous octroie des réductions plus importantes, c'est mettre un premier doigt dans la corruption.

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La rencontre de ce vieillard à Ambohitsoabe ce week-end vient conclure ces trois anecdotes. Il prenait soin des fleurs qu'il avait planté dans son jardin et je l'en félicitais pour leur beauté.
"-Raha manana vola aho, mividy vaovao. Refeha tsy manana, mikarakara ireto aho." (Si j'ai de l'argent, j'en achète de nouvelles. Et quand je n'en ai pas, je m'occupe de celles que j'ai déja planté)